SCHIZOMÈTRES / se passer du diagnostic
Un homme d’esprit disait qu’on pouvait répartir l’Humanité en officiers, femmes de chambres et ramoneurs. Quand une classification n’épuise pas idéalement son objet, n’importe laquelle lui est en tout point préférable, parce qu’elle a l’avantage de mettre l’imagination en mouvement.
Remettre l’imagination en mouvement est bien nécessaire
Remettre l’imagination en mouvement est bien nécessaire à l’heure où les psychanalystes mettent trop souvent leurs pas dans ceux des psychiatres en recourant à leurs pratiques diagnostiques. Dans La question de l’analyse profane, Freud écrit : « Nous ne tenons pas du tout pour souhaitable que la psychanalyse soit avalée par la médecine et trouve sa demeure définitive au fond du traité de psychiatrie, au chapitre thérapie… » Le souci de Freud demeure plus que jamais actuel. Épingler une personne d’un diagnostic, l’enfermer dans une case, c’est se condamner à faire rentrer ce qu’elle vous dit dans cette case et donc à ne pas l’entendre. Voilà une des choses que ma pratique, mon travail à l’École lacanienne de psychanalyse et la découverte des Schizomètres de Marco Decorpeliada m’ont appris. Je vous invite à cette découverte.
Schizomètre est le nom de la révolte de Marco Decorpeliada (1947-2006) contre les diagnostics. Épinglé par ceux du DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders), bible de la psychiatrie moderne, il découvre que 20.2 Schizophrénie, type catatonique continue, correspond à 20.2 Crevettes entières roses cuites dans le catalogue Surgelés ! Soulagé par cette découverte, il va inscrire son entreprise de réplique sur des mètres et il va répertorier les manques de la classification DSM sur des portes de congélateurs. Dégivrant avec art une psychiatrie surgelée, il montre aussi les limites de tout systématisme.
Jacques Adam, Marcel Bénabou, Laurent Cornaz, Dominique de Liège et Yan Pélissier ont été les commissaires de l’exposition Marco Decorpeliada, Schizomètres qui s’est tenu de février à mai 2010 à La maison rouge.
Marcel Bénabou, Baptiste Brun, Jean-Luc Deschamps, Dominique de Liège, Olivier Vidal et Yan Pélissier sont les artisans d’une conférence-performance sur la vie et l’œuvre de Marco Decorpeliada. Donnée pour la première fois au Théâtre du Rond-Point en novembre 2015 elle a été reprise depuis à La Maison des Métallos, à la Maison de la poésie, au MUCEM mais aussi dans une vingtaine d’universités et hôpitaux psychiatriques, dont l’hôpital Sainte-Anne pour ses 150 ans.
Point sur Marco DECORPELIADA :
La conférence à la Maison des métallos, Paris
Le premier numéro de la revue bilingue anglais français DYSFUNCTION déplie les subtils jeux de Marco Decorpeliada entre réalité et fiction. Publié par les Universités, Rouen Normandie, Paris Dauphine et Panthéon Sorbonne.
Participation au MOOC
Université Paris 7, Histoire des représentations et du traitement de la folie , Kevin Poezevara et Frédéric Uran.
REVUE CHIMÈRE
On lira dans la revue Chimères comment des enseignants de psychologie de l’Université de Villetaneuse se sont appuyés sur les schizomètres de Marco Decorpeliada pour radicalement décaler leurs étudiants de première année : Benjamin Royer, « Soigner, éduquer, culturer ? Ou les minutes pédago-cliniques de praxis altératrices : création d’un journal schizométrique à l’Université. »
POUR EN SAVOIR PLUS
Deux livres ont accompagné cette aventure :
- Marco Decorpeliada, Schizomètre. Petit manuel de survie en milieu psychiatrique, Paris, EPEL, 2010
- Benoit Vidal, L’effet Schizomètre, quand l’art brut dégivre la psychopathologie, Paris, EPEL, 2018